Une si violente grâce


Girl, un film de Lukas Dhont 
avec Victor Polster et Arieh Worthalter

Caméra d’Or, Queer Palme et Prix d’interprétation Un Certain Regard au Festival de Cannes.


Girl est de ces films que la critique qualifiera inévitablement de “nécessaire” : en fait, il est surtout d’une rigueur et d’une justesse aériennes. De fait, il faut se rappeler que lorsque le cinéma indépendant se fait fenêtre ouverte sur le monde, il devient nécessaire à chaque fois qu’il nous confronte à une réalité (ou même, d’ailleurs, à un imaginaire) qu’on ne connaît pas. Les récents Leave No Trace (Debra Granik, 2018) ou Dark River (Clio Barnard, 2018), se focalisent par exemple sur d’infimes objets sociaux qu’on ne peut imaginer sans les avoir vécus. Le Cinéma est nécessaire en tant qu’il offre la possibilité aux esprits de s’ouvrir sur l’inconnu… Encore faut-il avoir la volonté de pénétrer dans la salle et de s’y confronter.  


Girl n’est toutefois pas véritablement politique - bien que tout soit politique au sens large - mais avant tout humain. Lukas Dhont n’est pas dans une volonté de moraliser ou de solutionner, il souhaite partager une histoire qui l’a profondément marqué et dans laquelle il a cru déceler un potentiel cinématographique. 

Girl pose une question nouvelle au cinéma. Alors que Laurence Anyways (Xavier Dolan, 2012) et le flamboyant personnage de Melvil Poupaud théorisaient autour du changement de sexe et plus particulièrement du rapport aux autres pendant et après la transition - le tout bien sûr de façon magistrale, à la Dolan, tout en verbe et plastique -, Lukas Dhont et Victor Polster s’aventurent - jusqu’à la rupture - là où le cinéma est rarement allé. 
De fait, Girl est focalisé sur le corps - le mettre au pluriel serait inexact : s’il y a effectivement des scènes de danse en groupe, c’est uniquement Lara que la caméra suit - de son héroïne, et sur le rapport qu’elle entretient avec celui-ci. Le regard des autres (du groupe de danseurs, des médecins, de sa famille) est inévitablement présent mais n’est pas au premier rang. Le réalisateur ne laisse aucun doute quant au fait que Lara est une femme (utilisant intelligemment l’absence de la mère dans le groupe familial : Lara endosse ce rôle avec aisance et sans que cela ne soit discuté), et ce n’est pas de son questionnement qu’il souhaite discourir. Girl bouscule les enjeux habituels et traite avec une grâce violente de la souffrance d’une femme enfermée dans un corps d’homme.
Enfin, ne nous quittons pas sans avoir évoqué l’excellence de l’interprétation de Victor Polster, qui rejoint ce panthéon légèrement à part de ces acteurs qui sont plus qu’ils ne jouent. Les autres acteurs qui gravitent autour de Lara ne sont pas en reste, notamment Arieh Worthalter qui compose le père le plus aimant du cinéma du XXIème siècle. 

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