Paterson, Neruda : poésies, oscillations, réalité
Paterson et Neruda, au delà du fait qu’ils portent tous deux le nom de leurs personnages, sont deux films sur la poésie, du moins sur la place du poète dans la vie ou la société. D’une certaine manière, ils assument donc cette poésie par une réalisation particulière : le texte poétique primaire y est secondé - sinon sublimé - par un texte esthétique secondaire. La poésie y est donc omniprésente, tant littéralement (les personnages ne manquant pas de déclamer leurs vers dès que faire se peut) qu’insidieusement : par la mise en scène.
Jarmusch et Larraín développent chacun un style très particulier pour servir leur propos.
Jarmusch joue sur la répétition, tant des situations que des cadres - à l’image de la scène du réveil chaque matin - mais nuancé d’inserts changeants, littéralement incidents dans la routine. Un soir, un gang local se lance dans une diatribe sur le chien et sa valeur ; le jour suivant Laura (l’irréelle Golshifteh Farahani) repeint une énième fois une des pièces de la maison. Tout cela se place en opposition à la manière de voir les choses de Paterson : ce qui inspire ce dernier, ce sont justement les éléments de sa routine, pas les événements extérieurs.
Larraín, lui utilise plutôt une déconstruction autant narrative que spatiale : il joue entre les points de vue, l’histoire étant racontée par Oscar (le policier), qui normalement ne devrait pas voir une grande partie de ce qu’il décrit… de la même manière, les conversations se déroulent pour la plupart - et de manière assez énigmatique - dans plusieurs lieux : le seul raccord en est la réflexion.
Ce qui rassemble ces deux oeuvres, c’est en fait cette impression aérienne, cette quasi non-temporalité : de fait, avant d’être des fictions, les films se font essais lyriques. Tous deux traitent d’une démarche par le biais de leurs personnages, et non de la démarche de leur personnage. Neruda narre l’histoire d’un poète qui veut créer son histoire, sa grande épopée sous forme d’une poursuite ; mais l’histoire est racontée par le personnage du policier qui fait tout pour ne plus être ce “personnage secondaire“
On retrouve également des similarités dans la construction : à un moment survient une perte de contrôle. Dans Paterson, le chien déchiquette le cahier de poésie - bien sûr unique exemplaire, ce qui donne lieu à la première émotion d’Adam Driver (après 1h51 très précisément) : « I don’t like you, Marvin ». Outch. - et lance la fin du film, une grande scène bigger than life (indice : un japonais s’y fait deus ex machina) qui résume parfaitement le propos du film, formidable épopée aussi statique que poétique. Dans Neruda, le personnage Oscar passe subitement de poursuivant à poursuivi, en même temps que la narration passe de sa voix à celle de Neruda, signifiant que les deux personnages ont désormais intégré l’histoire qu’ils ont constuite.
Deux films, deux propos différents. Si Paterson réfléchit à travers sept jours de routine à la vie de son personnage éponyme (qui assume pleinement le fait de subir sa vie), Neruda questionne sur ce qu’est l’engagement du poète dans sa propre vie.
Le thème de Paterson peut être synthétisé d’une manière très simple ; il est d’ailleurs - intentionnellement ? - résumé par la jeune fille rencontrée par Adam Driver : « [the story of] a bus driver who likes Emily Dickinson ». Pour Neruda, c’est plus compliqué. Le film aurait pu être un insipide biopic (si l’engagement politique avait été le sujet principal) mais se fait véritable fiction, peut-être même oeuvre supplémentaire du poète lui même : Pablo Neruda y devient conteur, narrateur omnipotent, au présent de sa propre vie.
Deux films, deux couples : Paterson et Laura, Neruda et Oscar. Deux trios amoureux, si on leur ajoute la poésie ?
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