Dupontel™ deluxe
Au revoir là-haut, un film de Albert Dupontel
avec Nahuel Pérez-Biscayart, Laurent Lafitte, Niels Arestrup, …
Albert Dupontel n’a jamais été aussi ambitieux. Que ce soit dans ses propres films ou dans ceux de ses amis Kervern et Délépine, il était le représentant d’un cinéma intimiste tourné vers “la France d’en bas“ ; un Ken Loach à la française, la folie créatrice et le cynisme en plus.
Quatre ans après la sortie de 9 mois ferme, il se lance dans l’adaptation du roman (Goncourt 2013) de Pierre Lemaitre : Au revoir là-haut. Pour ce faire, il dispose d’un budget trois fois supérieur - merci Gaumont - à celui de son précédent long-métrage. Et voir les choses en grand lui réussit à merveille.
Dupontel a su trouver dans l’œuvre de Lemaitre une certaine actualité, ainsi que des thèmes qui lui parlent. En quelques mots, la lutte des classes.
Édouard Péricourt, issu d’une famille d’aristocrates, renonce à son statut, profitant de la guerre pour “mourir aux archives“ (être effacé des registres, et prendre l’identité d’un mort).
Il souhaite rompre avec ce que représente son père, mais plutôt que de simplement s’en éloigner, il s’engage dans un combat contre le milieu de ce dernier.
Ce milieu est incarné par la figure du lieutenant Pradelle ; bellâtre interprété par Laurent Lafitte et requin arriviste est un constant rappel de cette classe qu’Édouard souhaite fuir. Pradelle cherche entre autres à rentabiliser au maximum l’enterrement des soldats dont il est chargé, il se joue des normes et même de la décence. On n’est pas loin d’y voir la figure d’un jeune start-upeur macroniste uberisant les morts de la première guerre mondiale.
Il y a bien sûr plusieurs lectures d’une histoire aussi complexe, mais la symbolique de scènes telles que l’effervescente fête onirico-macabre donnée par Édouard ne laissent pas de doute.
Au revoir là-haut est un film extrêmement dense, même pour une heure cinquante-cinq de pellicule. On est loin du rythme des précédents Dupontel où tout était plus ‘direct’, plus instantané. Dupontel met en place un véritable univers, d’une grande complexité mais sans pour autant perdre le spectateur.
Il présente deux personnages principaux qui évoluent parfois dans des segments séparés, deux antagonistes (pas vraiment antagonistes puisque finalement beaucoup moins intéressés par nos héros que par leur profit personnel) dont les trajectoires ne font que se croiser.
Dupontel ajoute des sous-intrigues conséquentes : les masques d’Édouard, la relation d’Albert et de la servante de la famille Péricourt, un fabuleux et ‘dupontelesque’ à souhait segment qu’on pourrait appeler « Michel Vuillermoz l’inflexible et le fisc », etc.
Enfin, Au revoir là-haut, tout en étant très précis sur la reconstitution de son époque, a une certaine capacité à transcender le réel. On ne se contente pas d’observer une fresque historique, on accepte qu’elle soit améliorée, théâtralisée par le réalisateur. Le film évolue également parfois dans un registre onirique, par quelques détails, comme la jeune fille qui est la seule à comprendre tout ce qu’Édouard dit, la beauté des masques (oeuvres dans l’oeuvre et histoires à eux tout seuls), ou encore la fameuse scène de fête déjà évoquée plus haut
Même les scènes d’ouverture dans les tranchées semblent se dérouler dans une réalité légèrement différente ;
Pour ce dernier point, les couleurs, en fait la recolorisation du négatif et l’étalonnage de Lionel Kopp et Natacha Louis, y sont pour beaucoup, tout comme elles ont une place prédominante dans l’atmosphère du film.
Ce qui nous amène à la technique, qui ne se refuse rien. La caméra est délicieusement fluide (mais sait quand il le faut se poser aux bons endroits) et évolue comme une évidence dans le microcosme du Paris d’après-guerre. Dupontel compose avec précision son opéra, sans faux pas.
À la fois devant et derrière la caméra [par dépit, nous avouera-t-il lors de l’avant-première : il envisageait Bouli Lanners lors de l’écriture du rôle], Dupontel s’en sort à merveille. Il endosse un double rôle de narrateur, à la fois par le personnage d’Albert qui raconte l’histoire à la première personne et par son rôle de réalisateur.
En voyant grand - et juste -, il offre donc aux spectateurs une sorte de version deluxe de lui-même, de son art et de ses thèmes. Au revoir là-haut rejoint aisément la liste des meilleurs films français de l’année 2017, et fait sans aucun partie de ceux à voir. Offrons-lui un succès, encourageons le cinéma français de qualité.
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