De l'art de polémiquer dans le vide : Okja

Okja, un film de Bong Joon-ho
Avec  Ahn Seo-hyun, Tilda Swinton, Paul Dano, Jake Gyllenhaal  


Okja, victime de son statut de premier “film Netflix“ en compétition officielle à Cannes, a suscité beaucoup d’interrogations.  Pour ne pas dire de débats aussi houleux qu’unilatéraux. Majoritairement, le lobby des exploitants de salle et l’intelligentsia du Septième Art se sont demandé comment Thierry Frémaux et son équipe avaient-ils osé sélectionner un film qui ne sortirait pas dans les salles françaises [françaises, oui ; le problème ne se posant pas dans la quasi-totalité des pays du monde]. Dans une attitude que bien trop peu ont osé qualifier de réactionnaire ( : j’ose, j’accuse), on donc fait passer un simple choix - peut-être inconscient mais surtout pas provocateur - pour un crime de lèse-majesté. Cependant, il convient de remarquer que la question majeure n’a pas été posée. On s’est perdu dans la spirale infernale de la chronologie des médias, déjà épine dans le pied de l’exception culturelle depuis l’arrivée de Canal +, sans aborder la seule question qui méritait d’être posée : on ne reviendra pas dessus, Okja est un film Netflix. Mais Okja est-il un bon film Netflix ? 


Au milieu de la nuée - et de la nullité - des fades oeuvres produites en interne et réalisées par des techniciens, même Sofia Coppola (avec A Very Murray Christmas) n’était pas parvenue à proposer quelque chose d’acceptable. Je m’attacherai donc ici à tenter de résoudre cette problématique : Netflix, service auquel je ne suis pas abonné et duquel je ne toucherai rien pour cet article, nous avait habitué au pire. Peut-il être capable du meilleur ? 


Oui. Okja est très bon. Il trouve indéniablement sa place parmi les meilleurs films de son réalisateur. Dans la continuité des thématiques de Bong Joon-ho, il se fait fable, vision critique d’une société en passant par des archétypes. 
Il pourrait d’ailleurs être - et est sûrement - le prequel de Snowpiercer, le précédent film “spectaculaire“ de BJ-h. Spectaculaire est ici employé entre guillemets par opposition à “intimiste“ et donc à des films tels que Mother se voulant moins globaux, plus précis (plus acerbes, également ; la satyre étant toujours plus facile au niveau individuel). De fait, Okja montre les prémices des aberrations écologiques que sont certaines décisions humaines, prémices qui peuvent tout à fait devenir une ère glacière généralisée telle que celle de Snowpiercer cinquante ans plus tard. Okja est donc un conte pour adultes, jouant avec leurs connaissances de la société par le biais de personnages souvent définissables par un mot ou deux. 
[Il convient d’ailleurs de remarquer qu’un enfant ne passerait pas un bon moment devant Okja. Tout candide en apparence qu’il soit, il en ressortirait probablement terrifié, et dans l’incompréhension totale…]

Ensuite, tant au niveau du fond que de la forme, Bong Joon-ho sait ce qu’il fait. Son scénario, profond et irrévérencieux, traite de thèmes spéciaux, sujets assez sensibles et rarement abordés - questionnés - par le cinéma grand public. On y retrouvera pèle-mêle des rapports d’opposition frontale entre capitalisme et écologie, la question du droit des animaux, l’altermondialisme ; ainsi de suite jusqu’à la toute puissance du PDG d’un grand groupe. Okja est également un film qui montre sans détours ni artifices une police d’Etat passer à tabac des militants pacifistes. Ce qui est suffisamment rare pour être remarqué. 
La forme, elle, est tout aussi maitrisée. BJ-h est un très bon réalisateur - du moins, il sait parfaitement illustrer ses idées - tant au niveau du timing de l’action, que de la construction des plans. De plus, il parvient  toujours à maintenir sa caméra au plus près de l’action sans que cela devienne illisible pour le spectateur. 
L’assemblage des deux faisant d’Okja une oeuvre aussi agréable à regarder que complète intellectuellement. 


Enfin, abordons la question des acteurs. Si Ahn Seo-hyun, jeune interprète de “l’héroïne“ du film apparaît aussi fade et inconsistante, c’est bien parce qu’en face d’elle évoluent trois  poids lourds servis à merveille par le scénario. Tilda Swinton incarne ici le PDG de l’entreprise “propriétaire“ d’Okja, qui suscite de fait el film par inconséquence et appât du gain. Le spectateur appréciera avec plaisir le goût de la démesure qu’il avait déjà pu trouver chez elle dans Snowpiercer ; de la même manière, Jake Gyllenhaal lâche la bride et nous livre la performance la plus “barrée“ qu’on ait pu lui connaitre jusqu’ici. Quant à lui, Paul Dano, toujours très Paul Dano au demeurant (ce flegme !) se contente d’être parfait… sans faire de vagues. 



Ainsi, très simplement, Okja est un très bon film. Il n’est pas une anomalie dans le parcours de son réalisateur, ce dernier ayant semble-t-il eu une grande latitude sur son style et ses idées. Okja est donc un très bon film Netflix également… ce que la polémique a semblé oublié. Je ne peux donc que regretter d’avoir été un des rares privilégiés à le voir sur grand écran [en France], car il n’est incontestablement pas fait pour être vu sur un LCD de 11 pouces, ou pis, un smartphone. 


P.-S. : juste au cas où : Okja n’est pas un obscur synonyme coréen du mot “écologie“, c’est bien le nom de la créature (mi-cochon mi-hippopotame) qui suscite les passions de l’ensemble des protagonistes… 

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