Desplechin, un film fantôme ?

Les Fantômes d’Ismaël, un film d’Arnaud Desplechin

Avec Mathieu Amalric, Charlotte Gainsbourg, Marion Cotillard, Louis Garrel, … 



Le film se propose de traiter, comme son titre l’indique, “les“ fantômes d’Ismael, en fait ses (presque) disparus qui l’empêchent d’avancer : son frère et son ex-femme. Il se veut extrêmement ambitieux, complexe, mais manque cruellement de cohérence. Ainsi, à la manière du récent et laborieux Personal Shopper d’Olivier Assayas, sont mélangées deux histoires qui ne trouvent qu’un infime point de jonction en le personnage principal du film. 

Ismaël doit tant affronter sa précédente femme, portée disparue puis morte, que son frère, dont le statut n’est à aucun moment précisé (alors que Ismaël semble connaître ce qu’il lui est arrivé en détail, mais passons). 

Ismaël n’arrive pas à évoluer dans la vie, sans cesse tourmenté par ses deux fantômes, auxquels on peut ajouter celui de son ex-beau père, cinéaste plus talentueux - et plus reconnu - qu’Ismael qui, depuis la disparition de sa fille, n’est plus qu’une ombre entre la vie et la mort. Le film, sous couvert de traiter de l’état psychologique d’Ismaël, nous montre en réalité un allez simple vers la folie. 
Une inévitable descente aux enfers qui aurait pu être géniale, sublime, si elles n’était pas minée par des tares dans sa forme.  

D’abord, une direction d’acteurs (trop) chaotique. 
Après autant d’oeuvres créées ensemble - six, l’objet de la présente critique étant la septième - penser que tout fonctionnerait à merveille entre Amalric et Desplechin allait de soi. Cependant, on assiste ici à l’inverse : il est difficile de déterminer si Mathieu Amalric construit scène après scène une caricature de lui même ou si plus simplement, il surjoue. Dans les deux cas, le résultat est discutable. 
De la même manière, Charlotte Gainsbourg est autant dépassée par les événements que son personnage : elle aussi surjoue. Les disputes entre son personnage et Ismaël en deviennent parfois assez risibles tant elles prennent des allures de vaudevilles/sitcoms. 
Marion Cotillard, quant à elle, ne joue pas ou joue carrément dans un autre film. Elle n’influe pas sur l’oeuvre, et les autres acteurs semblent très souvent répondre à quelque chose d’autre que ce qu’elle est en train de montrer actuellement. 
En définitive, les seuls qui s’en sortent bien sont les acteurs qui jouent dans le film que tourne Amalric : Louis Garrel - au demeurant très Louis Garrel - et Alba Rohrwacher. Tous deux sont très justes, et, étrangement, on aurait préféré voir ce “film dans le film“…


Ce qui nous amène donc au second point problématique du film : son scénario. D’une certaine manière, on pourrait dire qu’il est formellement très bon : insaisissable, imprévisible, il parvient à témoigner parfaitement de l’état psychologique d’Ismaël. Tout peut arriver à cause de cet état de quasi-folie. 
Cependant, il se transforme de fait en mélodrame permanent : les personnages exagèrent leurs réactions - si Amalric cabotine, Gainsbourg est elle édifiante de surjeu- , prennent des décisions stupides et incohérentes dont ils savent pertinemment qu’elles vont se retourner contre eux. À partir d’un certain point, il n’est simplement plus crédible que des situations s’enchaînent de cette manière tout en se voulant réalistes. 
Enfin, la mise en abîme nuit à la compréhension. Là où un simple principe “choral“ aurait eu un impact fort puisqu’une explication directe, le fait que ce soit Ismaël qui tente de raconter l’histoire de son frère minimise son importance. Les séquences avec ce frère perdu viennent perturber le fil principal et, trop courtes, ne parviennent jamais à compléter la psychologie d’Ismaël. Comme dit plus haut, c’est même l’effet inverse qui se produit : on en vient à vouloir délaisser Ismaël, - artiste sombrant dans la folie - pour son frère Yvan, le génial et fantomatique espion.  



Les Fantômes d’Ismael reste cependant une oeuvre qu’on aurait voulu aimer : la réalisation a du caractère, intelligente  et esthétique (Desplechin superposant par exemple des plans des protagonistes lors des conflits) et la photographie n’est pas en reste. De même, le personnage d’Ismaël dégage une véritable sympathie, mais ce ne sont pas ses aspects les plus intéressants qui sont développés.

En somme, ce dernier Desplechin témoigne d’un résultat en demi-teinte : une sorte d’acte manqué dont on sent qu’il aurait pu être très bon si correctement traité. 

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