de la qualité des surhommes non-franchisés

On l’appelle Jeeg Robot , un film de Gabriele Mainetti

Avec Claudio Santamaria, Luca Marinelli et Ilenia Pastorelli

On l’appelle Jeeg Robot est un film original. D’une certaine manière, le fait qu’il ait obtenu le prix du jury au festival (du film fantastique) de Gérardmer représentait déjà quelque chose, avant même de voir l’affiche, seconde confirmation ; puis, enfin, le film… consécration ? Un véritable film de genre, donc. 

Globalement, il rend très “cinéma italien moderne“, semblable à ce dans quoi peuvent évoluer Stefano Sollima (Suburra), ou, en s’aventurant un peu plus loin, Matteo Garrone ; on lui trouve également des petites touches de style “Ettore Scola“, par exemple dans son traitement des personnages. 

D’abord, Jeeg Robot est un film ambitieux, complexe, assemblage de plusieurs “choses“ cinématographiques qu'on a pas forcément l'habitude de voir ensemble, ce qui en fait une œuvre unique. Extrêmement dense de fait, un grand nombre de thématiques se croisent, disparaissent puis revienne là où on les attendait plus. À titre d’exemple, on traite aussi bien la banlieue - Tor Bella Monaca, banlieue romaine où les protagonistes ont grandi - en tant que “cause“ de ce qu’ils sont aujourd’hui que le rapport d’une jeune fille très probablement (sans que cela soit énoncé clairement pour autant) autiste à son monde imaginaire. À l’issue de la séance, on a le sentiment d’avoir observé quelque chose d’inextricablement enchevêtré, tout en ayant bien compris les - divers et nombreux - enjeux. 

Ensuite, Jeeg Robot est un film de surhomme(s), certes, mais il s’oppose radicalement et fondamentalement à ce que peuvent proposer les grands studios, pour la simple raison que, loin de la préoccupation d’épater le spectateur/le faire rêver, il parvient à se focaliser parfaitement sur les personnages et leurs psychologies. Comment est-ce qu’un don accidentel (ici, la force surhumaine) influe sur les schémas de pensée humain ? Le propos se veut dès l’origine beaucoup plus universaliste et intéressé par l’humain. 

Les trois - excellents - acteurs principaux incarnent une sorte de “trio infernal“ dans lequel chacun est plus instable et dangereux que son interlocuteur. Des protagonistes fondamentalement mauvais, foncièrement des “cas“ sociaux : 

Enzo (Claudio Santamaria, le héros) est un raté qui vit seul - puisque tous ses amis sont morts jeunes, ô joie quand tu nous tiens - ; n’a aucune bonne volonté, subit plutôt que d’entreprendre et survit plutôt qu’il ne vit dans un appartement minable - à coups de DVDs pornos et de desserts à la vanille - et n’est en aucun cas motivé par quoi que ce soit. S’il braque, c’est par nécessité désabusée. Il trouve d’ailleurs l’origine de sa situation de “surhomme“ dans un plongeon malencontreux dans coin douteux du Tibre pendant un braquage raté (CE SONT DES CHOSES QUI ARRIVENT). 

Alessia (Ilenia Pastorelli) est une jeune femme autiste complètement névrosée qui depuis la mort de sa mère vit littéralement dans un dessin animé : le fameux Jeeg Robot. De fait, sa manière de penser, fondamentalement irrationnelle, rythme le film puisqu’elle influe sur une grande partie des décisions d’Enzo. 

Fabio (l’excellent Luca Marinelli, déjà vu chez Sorrentino : La Grande Belleza) l’antagoniste est un petit caïd narcissique sans cervelle qui ne recherche que la reconnaissance et qui n’a jamais fait preuve d’un semblant de rationalité. Il cherche à faire le mal, non pas pour le mal, mais pour que son nom soit connu de tous. Il a essayé la télé-réalité - un running gag fort agréable dans le film, d’ailleurs - mais le crime est définitivement la voie la plus facile. 

Enfin, l’aspect éthique est bien présent et très intéressant. 

De fait, on pourra y trouver une comparaison avec Vincent n’a pas d’écailles (Thomas Salvador), dans le sens où le “don“ se fait plus fardeau puisqu’il est accidentel.  Le “surhomme“ tente alors avant toute chose de s’en sortir avec lui-même et ce qu’il représente, plutôt que de devenir un justicier ; à la différence peut-être que le propos de Vincent ne restait qu’à l’échelle d’un homme et que celui de Jeeg se veut bien plus global. 

Ici, Enzo refuse longtemps d’être un héros. D’ailleurs, ses premières actions pour éprouver ses nouvelles capacités sont des crimes. Pour lui, un grand pouvoir n’implique rien du tout si ce n’est peut-être la possibilité de vivre sa vie comme il l’entend  sans être dérangé : plus besoin de se préoccuper du facteur “argent“, aucun convoyeur de fonds ne lui résistera. Pendant une grande partie du film, les pouvoirs quasiment infinis d’Enzo ne le font pas pour autant évoluer ; il campe sur sa position, il est toujours un marginal et ne veut pas qu’on attende quoi que ce soit de lui. Ce n’est que quand il a lui-même provoqué un danger qu’il s’en estime responsable… et qu’en définitive sa responsabilité le dépasse. Par la force des choses, il est Jeeg Robot [et un magnifique plan de fin sur le Colisée - cliché ? - ne pourra que le confirmer].