Les décevants cadors de Janvier 2018





Molly’s Game (Le Grand Jeu), un film d’Aaron Sorkin
avec Jessica Chastain, Idriss Elba, Michael Cera

Le premier film en tant que réalisateur d’Aaron Sorkin (scénariste émérite, entres autres The Social Network et The Newsroom) est typiquement un film de scénariste. Le scénario, pourtant agréablement complexe et précis en théorie, est desservi par une piètre réalisation : un néant d’image, un montage épileptico-clipesque et une narration à la première personne en voix-off.  La volonté de Sorkin de prouver qu’il maîtrise bien son sujet (le poker de haut vol) nuit également à l’intrigue, sortant le spectateur de l’action en détournant son attention. 
Enfin, le film succombe à trop de facilités : outre sa narration non-linéaire pas vraiment justifiée, il propose également une réconciliation père/fille avec un Hugh Grant sortant littéralement de nulle part - un buisson de Central Park ? - pour déclamer son amour (et aussi s’excuser d’avoir ostensiblement trompé sa femme, pourquoi pas) ; ou encore le miroir entre les personnages principaux (Elba appliquant sur sa propre fille la rigueur que Chastain a vécu). 
Fatalement, avec tout ce storytelling et ses personnages unilatéraux, Jessica Chastain et Idriss Elba se retrouvent à déclamer comme s’ils étaient sur une scène de théâtre ; seul le cabotinage de Michael Cera se trouve être parfait pour son rôle bien que d’une importance mineure. 


Darkest Hour (Les Heures Sombres), un film de Joe Wright 
avec Gary Oldman, Gary Oldman et Gary Oldman (il dévore littéralement la pellicule, ne laissant la place à aucun autre). 

Darkest Hour a au moins deux mérites : le premier se trouve dans l’excellence de l’interprétation de Gary Oldman ; 
le second aura été d’éclipser totalement - et sans aucune peine - le laborieux et grandiloquent biopic sorti l’année précédente (Churchill, Jonathan Teplitzky, 2017). 
Gary Oldman est un acteur “à personnages“ (Sid Vicious, le comte Dracula, Lee Harvey Oswald, Sirius Black). Il ne se contente pas simplement d’apparaître à l’écran, il incarne des personnages, leur donne une densité, une histoire et une complexité. Le Golden Globe pour son interprétation de Winston Churchill, sa première récompense majeure, est amplement mérité. Physiquement méconnaissable - seul son regard le trahit de temps à autre pour qui le connait -, il procède à l’étude méthodique et appliquée du caractère et des passions de son personnage. 
Du reste, Darkest Hour est un film long et dispensable. Émaillé de quelques catchprases chargés de faire état de la vergue du plus connu des Prime Minister britanniques (entre autres, le fameux « Don’t interrupt me while i’m interrupting you »), il adopte toutefois une réalisation maniérée qui semble avoir un fétichisme pour les fenêtres sans pour autant que cela signifie quelque chose. Plusieurs plans sont des trouvailles visuelles, mais qui restent terriblement abstraites.  

En définitive, seule la scène du métro est véritablement digne d’intérêt, synthétisant en quelques minutes tout ce que le film essaye de montrer sur son personnage principal ; le reste n’étant que des débats plats et immobiles traitant de l’opération Dynamo, que Christopher Nolan nous avait déjà montré a coups de money-shots l’an passé dans son divertissant Dunkirk. 



The Greatest Showman, un film de Michael Gracery
avec Hugh Jackman et Michelle Williams 

Damian Chazelle et son La La Land ont bien ouvert une brèche dans le cinéma, enclenché quelque chose de nouveau (ou ré-enclenché un processus oublié). En effet, les producteurs peuvent à nouveau gagner de l’argent sur des comédies musicales ; et, ce film en étant le parfait exemple, les comédies musicales à la direction artistique inexistante et la bande-son exclusivement basée sur ce qui se vend en ce moment. The Greatest Showman est un très mauvais film, et si Hugh Jackman a apparemment abordé le rôle comme un défi - il chante et danse lui-même, dit-on, même si le film s’arrange souvent pour ne pas montrer le visage des acteurs lorsqu’ils chantent ou dansent - on espère pour lui qu’il a au moins grassement été rétribué. 
Tout ce que La La Land offrait, tout ce sur quoi il innovait est amplement et presque méthodiquement balayé. À la manière de P. T. Barnum, son personnage principal, qui fait semblant d’être passionné mais qui est en réalité là uniquement pour faire du chiffre, The Greatest Showman ne se refuse rien et tombe la tête la première dans tous les clichés. 
Et, une fois de plus, sa bande originale est désastreuse [qui a osé donner un Golden Globe à ça ? Qui plus est face à un morceau issu de la B.O. de l’excellent Coco..?). N’y allez pas.



All the money in the world (Tout l’argent du monde), un film de Ridley Scott
sans Kevin Spacey mais avec Christopher Plummer, ainsi que Michelle Williams et Mark Wahlberg

Sorti fin décembre en France mais en janvier au Royaume Uni. Faisons comme si de rien n’était. 

All the Money in the World souffre d’un gros souci de cohérence. À croire que personne n’a jamais eu la vision du produit fini. Il s’ouvre sur une très courte séquence en noir et blanc (qui se fond rapidement dans la couleur) ; ce noir est blanc n’est là pour aucune raison précise, et surtout pas pour justifier le passé : cette séquence se déroule en 1973, soit l’année des événements du film. Les séquences antérieures seront, elles, en couleurs. Et parlons-en, de ces séquences antérieures : des sauts temporels aléatoires, souvent narrés en voix-offs et qui n’ont pas d’autre effet que d’égarer le spectateur, la narration des trente premières minutes devenant de fait assez chaotique. Le coup de grâce est porté par l’apparition de Romain Durris en mafieux italien (qui baragouine en anglais). Merci Ridley, le public en avait besoin. 
Chaque instant du film semble paradoxalement s’appliquer à tomber dans la facilité. Sans parler du scénario ou des personnages monolithiques et de leurs réactions incohérentes ; même la photographie passe pour ne pas avoir fait plus d’efforts que d’appliquer le filtre ‘années 70’ de Movie Maker… la colorimétrie, tout en tons passés et sombres est simplement cliché.  
Enfin, All the Money in the World c’est également une flopée de scènes vraiment risibles. Entre autres, le découpage pas du tout consciencieux d’une oreille, ou la mort d’un vieux milliardaire aigri  : serrant un tableau contre sa poitrine dans le vacarme de son propre système d’alarme. 

En bref, Ridley Scoot nous offre un téléfilm exécuté (dans tous les sens du terme) d’une main de maître, qui n’est pas sans rappeler D’après une Histoire Vraie, le dernier Polanski. Une seule question se pose : celle de la retraite. 

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