Quand la technique éclipse l'humain : Dunkerque

Dunkerque, un film de Christopher Nolan

Avec Mark Rylance, Tom Hardy, Cillian Murphy et des acteurs inconnus qui jouent plus ou moins bien. 


Christopher Nolan est un grand technicien. Dans le bon sens du terme, ce qui est rare. Un réalisateur qui a toujours su tirer le meilleur des moyens disponibles ; ou qui a voulu les améliorer quand ils ne lui convenaient pas, pousser la technique cinématographique dans ses derniers retranchements. Ici, le 70mm lui est encore une fois apparu comme évidence pour pouvoir tirer le meilleur de son matériau. 
Première observation, penser un film magnifique en 70mm c’est bien, se rappeler que c’est une technologie rare au moment de la projection dans la plupart des pays, c’est bien aussi. En l’occurence, voire Dunkerque sur un écran ‘normal’ dans un format compacté improbable est décevant. L’expérience en est sans aucun doute amoindrie. 

Cela dit, Dunkerque était le film original le plus attendu de l’année (on observe d’ailleurs qu’un seul autre film dans les dix premiers du classement peut être considéré comme original : Silence de Martin Scorsese). Objectivement, le pari est réussi pour Nolan ; son film est une grande réussite technique et fera sans aucun doute un score au box office conséquent. C’est lorsqu’on se penche plus en avant sur l’oeuvre, son contenu et l’expérience du spectateur que l’horizon apparaît comme moins radieux. 

Tout d’abord, Dunkerque c’est l’impression de voir une suite de gimmicks nolanesques pendant 1h45, ces gimmicks qui forcent le respect, mais à la longue tendent vers l'overdose. La maestria technique de la réalisation est impressionnante (la caméra 70mm à l'épaule, les action-cams sur les avions...), mais elle apporte un éloignement, une certaine rigueur - froideur - assez malvenue dans un film de survie. De même, la segmentation - Chris décide de créer, de séparer et d’afficher trois “moments“ de la bataille -  et le montage non-linéaire enlèvent beaucoup, d’abord à l’immersion puis à la lecture de l’action. Plusieurs niveaux de lecture s’entrecroisent, la chronologie fait des bonds et en avant et en arrière et le spectateur ne peut plus être assuré de la véracité de l’image tout juste observée 
La technique éloigne le film de ce qu'il est sensé représenter. Les hommes dépeints dans les nombreux - et magnifiques -tableaux ne sont souvent que des silhouettes ou des archétypes. Certes, l’écueil du soldat qui raconte les yeux dans le vague ce qu’il fera en rentrant chez lui, avant de se faire tuer dans les scènes suivantes, est évité ; mais tout devient cause à effet, sans prendre le temps de s’intéresser à l’humain. La tension - bien présente - est souvent générée par une menace que les personnages ne voient pas mais montrée au spectateur, ou pis, par Hans Zimmer qui lance ses synthétiseurs dans des rythmes entêtants et dissonants. 


Finalement, là où le montage est mal inspiré, c’est qu’il force la mise en avant des différents niveaux de jeux d’acteurs. La dichotomie entre les “jeunes belles gueules“ et les acteurs “de métier“ s’amplifie au fur et à mesure, le spectateur ne pouvant que constater l’incapacité à jouer réellement et le manque de charisme des premiers face à la puissance des seconds. 

Trois personnages seulement portent une réelle intensité à l’écran. Les deux premiers de par leurs choix durant l’action, le troisième par sa simple position. Réglons le compte du troisième tout de suite : Kenneth Bragath, interprète le commandant Bolton et met son charisme au service du rôle. Il est un héros de guerre, efficace et sans fioritures. Passons. 
Les deux autres sont plus importants. D’abord, Tom Hardy, pilote de la RAF, nous livre comme à son habitude une interprétation minimaliste et ciselée. Seul bémol, si on retiendra son personnage, ce n’est pas pour son dévouement et son abnégation… mais plutôt pour le statut de martyr superbe - assez improbable - imposé par Nolan qui ne prend pas de pincettes et le fait capturer par les Allemands à grands renforts d’une imagerie quasi biblique. 
Dernier point, mais non des moindres : Mark Rylance. Il compose sans difficultés le personnage le plus complexe du film, le seul qui soit vraiment intéressant… malgré le fait qu’il ne puisse évoluer que dans un tiers de l’oeuvre comme vu précédemment.

Du reste, le trio Whitehead-Styles-Barnard ne parvient pas à rivaliser. Héros du segment « the Mole », leurs personnages doivent à la fois regagner le Royaume-Uni, ce qui n’est pas une mince affaire. Mutiques - sauf lorsque Harry Styles se lance dans une diatribe « british first & british only » en cabotinant complètement -, effacés, on ne retiendra d’eux que leur capacité presqu’indécente à ne pas mourir alors que c’est le sort réservé à la quasi-totalité de leurs camarades. À croire que lorsqu’ils montent dans une embarcation, ils condamnent ses occupants. 

Paragraphe sur Hans Zimmer et le fait qu’il en est presque à se pasticher de lui-même intitulé « trop de nappes de synthés tuent la nappe de synthé » censuré par les - trop nombreux - aficionados du bonhomme. 

Enfin, Chris Nolan réussit sans aucun doute une chose. Bien qu’expédiée dans les derniers instants du film, il propose une - légère - remise en question de la lecture patriotique faite par les anglais de cette défaite. Les soldats sont les premiers à ne pas comprendre pourquoi on les fête à leur retour au pays. Ce n’est peut-être qu’une esquisse, mais un travail sur les mémoires a toujours du bon au cinéma. Churchill a rappelé - en vain - que « les guerres ne se gagnent pas avec des évacuations », Nolan aura quant à lui montré que lesdites évacuations sont tout autant des guerres que celles dont elles découlent. 


Dunkerque est donc sans conteste un monument de technique, doublé d’un manifeste du cinéma de Nolan. Cependant, à la sortie de la salle ne demeure qu’une impression floue : il est également assez vide, et peu clair dans ses intentions. 

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