Et l'objectivité dans tout ça ?
La La Land, un film de Damien Chazelle, avec Ryan Gosling et Emma Stone
Autant être honnête tout de suite, cet article est autant une réflexion sur le battage médiatique qui l’a précédé qu’une critique du film. Parce qu’il se trouve que, un peu par hasard, La La Land est devenu un phénomène médiatique en tant que “prochain chef-d’oeuvre de Damien Chazelle“ avant d’être une oeuvre en elle-même.
La La Land est un très bon film, c’est indéniable. La réalisation est presque parfaite - surtout si on la juge à l’aune du peu d’expérience de Damien Chazelle et du peu de temps dont il a eu besoin pour présenter son film - et dans la lignée de Whiplash ; nous reparlerons du style un peu plus bas. Les acteurs sont excellents, quoique que ce ne fut jamais source de doute pour Emma Stone, le choix de Ryan Gosling était plus discutable… mais il incarne son rôle à la perfection (les mauvaises langues iraient même jusqu’à dire que c’est le premier film où il joue réellement).
Cependant, il convient de se demander ce que vaut réellement La La Land, en le prenant indépendamment de la vague de hype, simplement en tant que film de 2017 dans la filmographie de Damien Chazelle.
Tout d’abord, en terme de style, Chazelle conserve sa réalisation hyperdynamique qu’il avait déjà pu développer dans Whiplash. La caméra est quasi-systématiquement en mouvement, quand elle n’est pas montée sur un bras, petite innovation de style - à voir si elle sera conservée par la suite - autorisée par le genre. On soulignera notamment la manière - déjà présente dans Whiplash - dont il passe d’un personnage à l’autre dans l’action : la caméra tourne de l’un à l’autre sans cut… ce qui génère des scènes magnifiques d’intensité ; quand Mia danse pendant que Sebastian joue. Les deux personnages sont ainsi liés de manière bien plus claire qu’avec un champ/contrechamp… et de la même manière que l’étaient Andrew et Fletcher pourtant dans un rapport inverse, ce qu’il est intéressant de souligner.
Cependant, la réalisation s’empêtre assez vite dans ses idées : les lumières qui disparaissent progressivement autour de ses acteurs qui s’apprêtent à jouer ou chanter (et notamment un spot tourné vers Sebastian lorsqu’il est au piano) deviennent dès leur second emploi un simple gadget, plus cliché que gimmick. De la même manière, sa manie de tourner la caméra vers le ciel pour effacer “subtilement“ les raccords de ses plans relève plus de la facilité que du choix artistique et devient vite exaspérante.
Ensuite, le duo Stone/Gosling fonctionne bien, ce qui n’est pas forcément étonnant, au vu de la proximité des univers de leurs carrière (leurs façons respectives d’habiter Birdman et Drive [leurs présences fantomatiques] sont assez semblables).
On se souvient qu'Emma Watson aurait pu jouer le rôle de Mia… et heureusement que ce n'est resté que du conditionnel, tant la capacité de cette dernière à évoluer dans le dramatique est limitée. Emma Stone est parfaite dans ce rôle, notamment de par sa capacité à passer du rire aux larmes en un battement de cils (et quels cils !) ; en face, Chazelle lui oppose Ryan Gosling, qui, abandonnant sa placidité légendaire, se permet de ressentir émotions, proposant pour une fois un personnage complexe ET humain. Rien à dire, aussi surprenant que cela puisse paraître.
Bien sûr, leurs prestations vocales sont discutables, mais ils demeurent des acteurs jouant des chanteurs, et non l’inverse (coucou John Legend).
Abordons maintenant le point sensible. Justin Hurwitz et la BO.
Une importante partie de la communication avait été faite là-dessus, sur fond de "oh mon dieu, c'est une comédie musicale, c'est SI original". Force est de constater que dans les faits, la comédie musicale est bien une toile de fond, mais pas forcément essence même du film : La La Land se fait plus “film sur la musique“ que comédie musicale a bien des égards.
Les deux morceaux d'ouverture assument le genre à 1000% mais ne semblent pas intégrés dans la progression du film : le premier morceau, pure scène fantasmée par un scénariste d'Hollywood des années 50, bien qu'assez incroyablement orchestré et mis en scène, n'implique pas les deux protagonistes principaux ; le suivant, également comédie musicale absolue mais plus difficile à digérer, et est à peine un élément de l'histoire.
Deux suivent, un peu plus tard A Lovely Night & City of Stars : eux seront en fait les deux que le spectateur retiendra, puisqu'il sont eux réellement intégrés au scénario ; mais Hurwitz use et abuse du thème, ce qui est dommage puisqu'il en perd sa force dramatique, finissant par simplement annoncer de manière mécanique un passage chanté…
La La Land est très bon, c’est un fait. Mais les annonceurs ont joué sur l’aspect conjoncturel de sa sortie (le monde va mal, il a besoin de mélancolie) d’une manière assez malhonnête, d’autant plus lorsqu’on remarque que Nocturnal Animals, par exemple, partage de très près ses thématiques autour de la création artistique.
Ainsi, s’il fallait synthétiser, on pourrait avancer que La La Land n’est pas un film si original que ça. Il demeure un film - parmi bien d’autres qui questionne les rapports entre vie artistique et vie personnelle, d’ailleurs dans la suite logique de Whiplash. Son aspect, bien qu’admirablement travaillé, n’est pas son point fort : c’est véritablement son scénario, sa manière de traiter le sujet qui fait de La La Land un must have seen.
Soyons réaliste : La La Land n’est pas le meilleur film de la décennie.
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