Aujourd'hui, Tonton est mort. Ou peut-être hier, je ne sais pas.

Carnets du FIPADOC

Par son regard sur les funérailles de Joseph Vissarionovitch Staline, Sergueï Loznitsa, documentariste et réalisateur ukrainien, ne transige pas sur ses ambitions et lorgne du côté du réalisme socialiste. 

State Funeral est un documentaire composé uniquement d’images d’archives – superbement – restaurées. Pendant deux heures et quinze minutes, les citoyens d’URSS défilent pour venir rendre hommage à leur Vojd, leur guide. Ce qui frappe, c’est d’abord leur émotion ; elle est loin d’être feinte et on voit des femmes pleurer autant que des hauts dignitaires trembler. Ensuite, c’est l’absence de couleurs dans les rues de l’URSS de 1953 : seuls les drapeaux rouges et noirs viennent contraster avec les nuances de gris. Enfin, c’est l’ordre et le silence qui règnent lors de cette célébration. Les rangées de militaires alignés et immobiles semblent s’étirer à l’infini. 
143 minutes de recueillement extatique
Le réalisateur de petits bijoux tels qu’Une Femme douce (sublime épopée de 2 h 45 à travers la Russie moderne) ou encore Donbass opte pour une représentation radicale de ce deuil national. Les discours hagiographique autour des autels à la gloire du premier secrétaire du PCUS résonnent ; à intervalles réguliers, le Requiem de Mozart vient occuper le champ sonore du film. Les visages éplorés succèdent à des scènes monumentales ; Loznista semble respecter le manifeste du réalisme socialiste soviétique et fait en sorte que rien d’autre n’émane de ces images. 



State Funeral est un documentaire absolu. Peut-être trop pour le spectateur non-averti. Autour de nous dans la salle, les têtes des spectateurs dodelinent. Lorsque les lumières se rallument après une dernière comptine en hommage au petit père des peuples, une spectatrice se fend d’un : « Ah ça, pour être mort il est mort, on a bien compris ».
En guise de conclusion, Loznista, trublion, n’omet pas de préciser par le biais d’intertitres finaux que Joseph Staline est directement responsable de la mort d’environ 25 millions de personnes (ainsi qu’indirectement, de 15 millions de victimes de la famine) et que par ailleurs, la déstalinisation commence trois ans à peine après la mort du dictateur. De quoi repenser à ces 143 minutes de recueillement extatique.

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