Transhumanisme, hallucinations, adoration




Le Congrès, un film d’Ari Folman
avec Robin Wright et Harvey Keitel

Le Congrès est un film complexe et légèrement difficile d'accès. Il combine live-action et animation (dans un rapport un tiers/deux tiers) pour un résultat admirable : il est sans conteste une des meilleures oeuvres dystopiques des années 2010. L'imagerie d'une humanité crasseuse et accablée qu'il met en place n'est d'ailleurs pas sans rappeler celle de l'excellent Children of Men (Alfonso Cuaron, 2006). Le brillant - et encore trop peu reconnu - John Hamm étant de plus au casting des deux oeuvres.
Si la partie live-action est sobre et ne témoigne pas d’une recherche particulière dans la réalisation, la partie animée est, quant à elle, une explosion baroque de visuels colorés ("le songe d'un dessinateur sous acides" ou quelque chose du genre, comme le dit elle-même Robin Wright dans le film). En un sens, rien d’étonnant dans la mesure où Ari Folman est principalement connu pour Valse avec Bachir, un film d’animation.
Parti-pris intéressant, le monde qui est décrit comme le stade ultime de l'humanité est en fait inspiré de l'esthétique de l'animation des années 30 à 50 (une déclinaison extravagante de Tex Avery!).


Le seul véritable défaut de l'oeuvre d'Ari Folman est - à mon sens - de ne pas parvenir à établir un véritable lien entre son ouverture (35 minutes en live action, dans lesquelles Robin Wright et Harvey Keitel sont néanmoins excellents) et le reste de l'oeuvre. L'héroïne est la même, on retrouve dans les deux parties un questionnement sur le rapport de l'Homme à la technologie... Une rupture abrupte - tant dans l'action que visuellement, donc - empêche cependant d'établir entre les deux un lien cohérent, et on ne peut pas s'empêcher de penser qu'utiliser un second personnage n'aurait rien changé.

On pourrait peut-être lui reprocher un certain manque de clarté, mais ce serait nier ce qu'il est, et ce vers quoi il souhaite mener son spectateur.

De même que le personnage principal, le spectateur est projeté dans une expérience, une hallucination collective post-humaniste dont il ne maîtrise pas les codes. De même que le personnage principal, il va devoir pour s'en extirper interagir pleinement avec ce nouvel univers et ceux qui le peuplent.

Si les lois et la philosophie de cet univers ne sont pas toujours limpides (on a du mal à comprendre comment ses habitants ne pourraient être "pleinement eux-mêmes" qu'en prenant les traits de quelqu'un d'autre), le film réussit par les impressions qu'il donne. Véritable bombe émotionnelle, il n'a pas pour vocation d'être un pamphlet démonstratif mais bel et bien un voyage à travers la subjectivité.
Son aspect dystopique ne comporte en définitive pas de morale ou de résolution générale : si conclusion il y a, c'est celle du voyage d'une héroïne, d'une mère vers son fils. Valeurs et morale n’ont de toute façon plus de sens.

« Ultimately, everything make sense. And everything is in our mind. »

* : Ce film comporte un hommage au Dr. Strangelove de Kubrick, qui plus est, particulièrement bien réalisé.

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