La trilogie du redneck / Le 15h17 pour Paris




N.B. : “redneck“ est ici à prendre dans son sens “ultraréactionnaire“, aucunement péjoratif (…quoique).

L’idée même de mettre un attentat en images, que ce soit dans une démarche informative ou de pur divertissement, est discutable. Il s’agit bien de rejouer des événements chargés d’idéologie et lourds de conséquences d’un point de vue humain. Ce qui est d’autant plus discutable lorsque l’on sait que les hommes qui furent impliqués dans l’attentat y jouent chacun leur propre rôle (sauf le terroriste) ; Mark Mooligan rejouant - littéralement - sa blessure, la limite avec le snuff-movie peut apparaître comme fine. 
L’argument principal de 15h17 étant bien cette reconstitution de « l’événement-clé », on peut se questionner sur la nécessité de proposer une interprétation d’un événement encore trop récent pour prendre du recul ; tant les tensions liées à la question du terrorisme islamique sont encore d’actualité. 
De même que dans Sully, précédent film, précédente adaption d’un fait-divers par Eastwood, ce dernier attache une importance particulière à la re-création de l’incident. Toutefois, la courte scène de pilotage qui conduisait à l’amerrissage en catastrophe de l’avion était le point d’orgue de Sully. Le reste traitait des cons séquences de l’action et de l’instruction d’un homme qui n’avait pas suivi les ordres. Ce n’est pas le même type d’évènement dans 15h17 : d’un incident technique, un rapport de forces homme-machine, finalement ; on passe à un attentat et un rapport de forces homme-homme. Les enjeux sont différents et autrement plus complexes. 

Si la démarche a quelque chose de malsain, l’enrobage qu’il y a autour est lui inutile, et manque cruellement de subtilité. Même en étirant au maximum les scènes de l’attentat à proprement parler, Eastwood doit toujours créer artificiellement 1h15 de film. Il se lance donc dans la genèse de l’histoire, en prenant le terme genèse au pied de la lettre : les héros ont une dizaine d’années dans la première partie du long-métrage.
Les personnages sont donc présentés - avec lourdeur - comme des ratés dans leur pays d’origine. Tous ont échoué, à divers degrés ; Alek et Spencer ne trouvant même pas leur place dans l’armée, qui était pourtant déjà leur solution de dernière chance. Miraculeusement, lors de leur voyage en Europe (avec quel argent ?), tout se déroule à merveille et les trois amis enchaînent les points touristiques, les conquêtes… et les débats stériles sur les perches à selfie (le cow-boy a sans doute cru s’emparer d’un sujet de société). 
Clint fait du remplissage, oubliant progressivement et inéluctablement la notion même de pertinence. On n’avait pas besoin de savoir que le petit Spencer était déjà une forte tête à l’école catholique, qu’Alek avait des origines allemandes, etc. Lorsque le road-trip (cliché) est lancé, les trois hommes enchaînent Rome, Venise, Berlin et Amsterdam et le film devient un catalogue touristique sans aucune valeur ajoutée. La structure même du long-métrage se constitue de fait en l’aveu d’un échec : des visions aussi furtives qu’hors-propos du Thalys en marche sont projetées de façon aléatoire dans les deux premières parties, tentant de re-dynamiser un ensemble branlant.
Il sera également plus difficile de ne pas remarquer le plaisir douteux que semble prendre le réalisateur à filmer la rixe entre ses héros et le terroriste, dont le comportement avant de passer à l’acte est d’ailleurs absolument cliché. 
Le discours de François Hollande lors de la cérémonie de remise de la légion d’honneur demeure finalement le moment le plus sensé du long-métrage (en fait le seul qui est issu d’images d’archives et qu’Eastwood a pris comme tel). Même si le réalisateur a cru bon de devoir l’entrecouper d’inutiles plans de coupe avec un faux président joué par Patrick Braoudé… qui ne ne lui ressemble définitivement pas, même s’il a déjà incarné ce rôle à quatre reprises. 

15h17 apparaît donc comme un élément supplémentaire dans la récente ‘trilogie du héros’ de Clint Eastwood. Cette série de films inspirés de la réalité, réalité que le réalisateur réarrange comme il l’entend pour communiquer sa vision du monde. Sous forme d’une idéologie douteuse où est célébré un Homme individualiste qui n’a de comptes - tant matériels que moraux - à rendre à personne. Et surtout pas aux institutions ou à l’État. 
 [Il ne fait toutefois pas l’économie dans 15h17 de la cérémonie de la légion d’honneur : soudainement, l’État aurait un rôle à jouer dans la reconnaissance du ‘héros’ ? Plus que la prédestination religieuse ? Où est-ce plutôt parce que la récupération d’images de journal télévisé était une facilité ?]. 
Si c’était évidemment le type de héros qu’incarnait Clint dans les westerns de Leone ou même dans son Impitoyable (1992), le contexte narratif était fondamentalement différent, l’Ouest Américain étant révolu. 
On ne peut qu’espérer que 15h17 marque alors un point final à une “trilogie du héros américain“ où l’idéologie a systématiquement pris le pas sur la narration et parfois même la vraisemblance. Eastwood ne semble plus s’embarrasser des resorts narratifs pour sa propre justification : souvenez-vous, le parfait exemple étant le soldat qui se faisait abattre (lâchement, bien entendu Clint, par un sniper irakien qui n’agit absolument pas de la même manière que le héros américain) juste après avoir évoqué ses projets d’avenir dans American Sniper. Ses meilleurs films ont indéniablement été ceux basés sur des scénarios originaux (où l’intrumentalisation, certes, était déjà possible, c.f. Gran Torino).

À la question « faut-il mettre en image le réel ? », on ne répond pas non. on se demandera plutôt s’il faut systématiquement le mettre en images. Une grande majorité des films reste liée à des événement ou époques historiques, certains sont de grandes réussite ; toutefois la mention “inspirée de faits réels“ est apparue trop souvent comme un gage de qualité est trop peu comme un manque de créativité.

Où sont passés les Jersey Boys* ? 
(*la rigueur, la simplicité, la véracité.) 

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