Mémoires, Nahuel Pérez-Biscayart, Act Up

120 Battements par minute, un film de Robin Campillo 
Avec Nahuel Pérez-Biscayart et Arnaud Valois

Grand Prix & Queer Palm au Festival de Cannes

Le Septième Art et les mémoires (représentations mémorielles) sont intimement liés. Souvent, le cinéma investit le passé, et revient sur un événement, une personnalité ; connus de tous ou non, parfois absolument anecdotiques. Quand ce passé est teinté de tabous et d’évitements politiques, de non-dits et de frustration, il y a alors matière à créer une œuvre forte, qui viendra tout mettre à plat [si possible sans réinterpréter]. C’est l’effet The Deer Hunter (Voyage au bout de l’enfer, Michael Cimino, 1978) qui devint le porte-étendard d’une génération spoliée par la guerre du Vietnam. 
N’en déplaise à certains, les mémoires collectives françaises ont été elles aussi sujettes à de nombreuses manipulations et modifications ultérieures. Des moments oubliés, occultés, dont le cinéma s’est emparé petit à petit. Le meilleur exemple étant celui de la guerre d’Algérie, durant laquelle des films comme Le Petit Soldat de Jean-Luc Godard (1961) ont été immédiatement censurés, et d’autres comme R.A.S. d’Yves Boisset (1973) ont été - savamment ? - sous-montrés. 

Robin Campillo s’empare donc d’un sujet qui, lui non plus, n’a eu la place qui lui revient ni dans le traitement médiatique de l’époque ni dans l’histoire officielle. Act Up-Paris, et surtout, ses militants. Campillo a lui-même milité dans l’association, et s’inspire de son expérience personnelle pour en donner la représentation la plus fidèle possible. Il choisit pour cela de représenter tour à tour des moments où le collectif dépasse l’individu : AGs, actions, manifestations ; et des scènes beaucoup plus intimistes, centrée sur un seul individu. Par une écriture de qualité, il crée une progressivité qui tout au long du film emmène le spectateur du global (Act Up, ses thèmes, son combat) au plus particulier (le lent combat contre le sida d’un de ses militants : Sean). 

Sean, interprété par Nahuel Pérez-Biscayart, est sans doute le personnage le plus cinématographique que vous aurez l’occasion de voir dans les salles sombres en 2017 [sauf si Aus des Nichts sort avant la fin de l’année, auquel cas nous aurons l’occasion d’en reparler]. Magnifiquement interprété, il en vient à devenir la personnification à l’écran de l’adjectif « flamboyant », mais également de l’association Act Up. Ce que Campillo et Pérez-Biscayart parviennent à montrer/composer, c’est un personnage qui est à la fois la raison d’être, l’âme et le fer de lance d’une association. Il est sur tous les fronts, dans toutes les nuances ; le film pourrait n’être vu que pour lui sans que ça ne change grand chose. 

Si le fond est extrêmement fort, et omniprésent - chacun des plans pourrait être sous-titré d’un slogan Act Up -, la forme, elle, ne parvient jamais à s’échapper du fonctionnel. Tout est d’un classicisme documentaire, à l’exception peut-être de certaines scènes de danse [sur fond de house, d’où les 120 battements par minute] qui montrent une sorte de réconciliation dans un esprit de groupe entre onirisme et jouissance. Les lumières y sont particulièrement travaillées, mais ces scènes n’existent finalement que comme transitions ou sas de décompression ; le réalisateur en parle d’ailleurs comme les seules scènes fantasmées du film, tirées de son expérience personnelle plutôt que des mémoires de l’association. 
D’une certaine manière, ce choix de réalisation (d’un Campillo pourtant par mauvais derrière la caméra, c.f. son précédent film) génère des longueurs et lui aura sans doute coûté la Palme d’Or. Ainsi, certaines scènes, trop amorphes malgré la vergue des protagonistes qu’elles montrent, échouent à être de véritables moments cinématographiques. 

Pour conclure, 120 Battements est un film nécessaire (surtout dans le courant de mentalités rétrogrades dans lequel nous baignons) servi par la sublime interprétation de son acteur-personnage principal. Néanmoins, il faut noter qu’il trouve toute sa justesse dans la représentation d’une réalité dénigrée, et non dans sa qualité d’oeuvre cinématographique. 



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