Ken Loach VS. Les frères Dardenne

I, Daniel Blake un film de Ken Loach

Ken Loach, ou l’illustration d’un sujet pas forcément des plus “bankables“ par des plans toujours aussi magistraux, d’une qualité artistique rare. 

Finalement, le sujet en lui même est très convenu, surtout pour un Loach ; mais il est traité avec son habituelle finesse mêlée de sérieux, opposant personnages poétiques et un système totalement aliénant. On y suit les tribulations de Daniel, un charpentier sexagénaire qui tente de se remettre d’un AVC… et d’obtenir son attestation d’invalidité. Ce personnage haut en couleurs - même pas archétypal - joue des coudes à travers le système pour tenter de s’en sortir, croisant au passage la route de Katie, mère de deux enfants et sans emploi. 

Le point fort du film, sans parler bien sûr parler de la qualité du scénario de Paul Laverty - on s’en doutait déjà - repose dans sa mise en scène. Ken commence à avoir du métier, et ça se sent. Là où dans un film à vocation “naturaliste“ il aurait été facile de se contenter d’une mise en scène utilitaire, un fantastique travail est mené par le maître pour styliser l’oeuvre. 

Par rapport au thème, on peut d’ailleurs l’opposer avec le récent et pathétique (mais tout autant acclamé à Cannes ) La Loi du Marché, de Stéphane Brizé, qui traitait de la même manière un sujet  purement social, mais cette fois-ci sans aucune réalisation, se basant sur le pathos pour le pathos. Loach joue la carte inverse : à aucun moment on ne plaint ce pauvre Dan (du haut de nos regards de bobos bien installés, ça ne servirait d’ailleurs à rien). Non, on partage sa rage, et ses convictions. 

Ici, Ken utilise sa mise en scène pour mettre en place une sorte de conte, et faire passer le côté humain avant le politique… ce qui n’est finalement pas plus mal, vu les nombreux ratages de films purement sociaux-politiques. Le spectateur se prend d’affection pour cette famille nouvellement composée, et pour le combat de Dan face aux institutions. Le final n’en sera que plus terrible, grave et magistral. 



La Fille Inconnue un film de Jean-Pierre et Luc Dardenne

Et dans la salle d’à côté, on a La Fille Inconnue. Les frères Dardenne persévèrent dans leurs délires de situations “réalistes“ qui n’existent pas, n’ont pas existé et n’existeront jamais

Après le poussif Deux jours une nuit dans lequel Marion Cotillard tentait corps et âme de garder son emploi au détriment de la prime de ses collègues, on assiste ici au délire obsessionnel d’Adèle Haenel, parachutée en médecin belge. Seront entre autres mêlés dans ce pseudo-thriller un stagiaire inutile au scénario, une famille de bipolaires passif-agressifs, et un Olivier Gourmet “brute rustaude“ (ce qui est étonnamment plus convaincant à l’écran que sur le papier, en fait). 

Le personnage d’Adèle Haenel, se sentant responsable de la mort d’une jeune femme à qui elle n’a pas ouvert sa porte, fait des pieds et des mains pendant tout le film pour retrouver ne serait-ce que son nom. Elle croise pendant son “enquête“ (le policier en charge de la véritable enquête lui ayant à plusieurs reprises déconseillé de continuer ) une galerie de personnages hauts en couleurs… parfois crédibles parce que sincères, parfois aberrants de fausseté. Le scénario semblait être acceptable jusqu’à ce que le final arrive : faible et sorti de nulle part ; une mascarade, à l’image de tout le film depuis son élément déclencheur. 

La qualité de l’image n’étant apparemment pas la préoccupation principale - du réalisme, que diable ! -, le spectateur doit supporter une caméra à l’épaule  tremblotante (le même cadreur que Téchiné, un peu plus réveillé sans doute) et des gros plans incessants et sans but particulier. 
Pour conclure, je reproche à ce film la même chose que je reproche aux autres films des frères Dardenne, c’est à dire  d’en faire des tonnes et des tonnes sur un propos de départ bancal ou même inexistant, sous couvert de réalisme et d’observation sociale. Les titres honteusement descriptifs en sont d’ailleurs bien révélateurs. N’est pas Émile Zola qui veut.  


Synthèse 

Il est très facile d’opposer ces deux films. Tous deux créés par des mastodontes du genre réaliste, ils ont cependant une manière d’aborder le réalisme très différente. D’un côté, Ken Loach nous propose une vision révoltée de la réalité, agrémentée de touches esthétiques et poétiques ; de l’autre, les Dardenne choisissent de nous montrer leur vision fantasmée de la réalité, sans réelle mise en scène et dans une absence de prise de position sociale. Le premier se propose d’aller d’un point A à un point B (et quel point B !) en stylisant simplement ce chemin, tandis que les seconds ne définissent même pas ces points, se perdent dans un matériau de départ déjà douteux. 

Sans fioritures malgré une grande maîtrise esthétique, Moi, Daniel Blake est à mon sens l'un des meilleurs films de l’année. De là à affirmer dur comme fer qu’il mérite sa Palme d’Or, il y a un monde ; en tout cas, il mérite le déplacement par rapport à la prise de tête offerte par les Dardenne. 

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