Suburra : manifeste de la puissance du cinéma italien


Suburra, un film de Stefano Sollima
avec Pierfrancesco Favino, Elio Germano, Greta Scarano, ...



Combien de temps faudra-t-il encore aux Italiens pour parvenir à exorciser ce que les ravages de la mafia provoquent en eux ? Sans doute autant de temps qu'il faudra à la mafia pour disparaître totalement : une éternité


Oui, encore un film sur - au coeur de - la mafia. Un film de plus à ajouter à la liste des oeuvres (Gomorra, Les Âmes Noires) qui traitent de ce sujet avec brio. Et oui, encore un film d'une grande puissance, d'un réalisme détonnant.


Des choix de réalisation très intéressants, notamment au niveau du montage qui choisit de passer d'un personnage à un autre, sans prévenir - mais toujours chronologiquement - montrant ainsi que leurs actions conjuguées mèneront à la même finalité.  
Certains plans sont vraiment très bien composés, exprimant le point de vue des personnages en présence. On peut donner en exemple la mort d'un des personnages, les yeux tournés vers le ciel, se vidant de son sang, à moitié caché par des planches de bois ; non pas par pudeur, mais bien parce qu'il est vu par un autre personnage, lui caché
Petit bémol : l'omniprésence de la pluie en début et en fin de film. Apparemment, à Rome, des trombes d'eau viennent systématiquement souligner les éléments dramatiques. C'est pour le moins perturbant. 
Une caméra qui montre tout, sans aucune exception, et c'est là toute la puissance du film : l'intégralité des événements qui servent la progression de l'histoire sont montrés ; et non pas relatés, posant la différence avec le cinéma classique, terrifié par le logo "interdit aux moins de 16 ans" qui pourrait lui être apposé. Dans Suburra, chaque meurtre, chaque relation sexuelle, qui lie ou délie les personnages est montré, offrant au spectateur une immersion totale. 
On ne compte plus les morts au long du film, et pourtant, pas à un seul instant on ne ressent un impression de saturation, ou de redondance. 

En effet, pendant sept jours, le film nous mène lentement mais sûrement vers ce qu'il nomme "L'Apocalypse" : la démission du gouvernement (de Silvio Berlusconi, bien qu'il ne soit ni montré ni nommé, mais les faits étant annoncés en 2011on ne peut que faire le lien) et la renonciation du pape Benoît XVI, qui lui n'est montré que de dos. Pourquoi l'apocalypse ? Parce que cette démission remet en cause la principale source de protection de l'ensemble des personnages : la corruption. Chacun des personnages le sait, et ne manque pas de le faire remarquer, si untel ou untel tombe, lui tombera aussi. 

Parlons maintenant des personnages, et de leurs talentueux interprètes. Le panel de mafieux est assez conséquent, allant du classique député corrompu (Pierfrancesco Favino, magnétique) dont les bavures sont à l'origine de la chute de la plupart des personnages, à l'ecclésiastique avide (Jean Hughes Anglade, surprenant), en passant par les chefs de familles mafieuses rivales (Adamo Dionisi, formidable dans sa brutalité bestiale ; Alessandro Borghi, formidable dans sa fragilité, son humanité). On notera aussi l'apparition d'autres personnages légèrement moins "classiques" comme celui d'Elio Germano, un entrepreneur plus ou moins honnête qui se retrouve entrainé dans le tourbillon par les dettes de son père, mais qui garde à chaque instant la volonté de s'en sortir, ou celui de Greta Scarano, la petite amie du chef de famille, qui agit tout long du film uniquement dans le but de protéger son couple.  
Chaque acteur a compris son rôle, sait où est sa place, par rapport à son personnage autant que par rapport aux autres, et l'extériorise à merveille. 

La musique, composée par les français de M83, contribue beaucoup à l'ambiance, tant dans les périodes de violence ou de luxure que dans celles de discussion ou dramatiques. 


Avec Suburra, Stefano Sollima, ainsi que ses scénaristes Carlo Bonini et Giancarlo De Cataldo (auteurs du roman éponyme) nous proposent à la fois de vivre l'expérience d'une plongée dans les plus hautes sphères du crime organisé italien, mais aussi de comprendre la situation catastrophique de leur pays, en faisant une analyse de son fonctionnement intrinsèque. Encore une fois, je me dois de proférer cette phrase : Non madame, le cinéma italien n'est pas mort ! 

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