Été 85 : Ozon juke-box


Le dernier film de François Ozon revêt volontiers les atours d’un film d’ambiance, en tous cas d’un film « à thème » : un quasi-film d’époque qui se propose de replonger dans les années 1980. Été 85 est en réalité un film juke-box aux pistes multiples, organisé autour de - et par - François Ozon, ses passions et ses obsessions.

Cette ambiance « eighties » est exagérée en argument de communication, avec une bande-annonce mettant l’accent sur Inbetween Days des Cure - dont les premières mesures se retrouvent brièvement dans l’ouverture du film. Été 85 ne souhaite pas à tout prix se faire reconstitution exhaustive des années 80. Les madeleines chronologiques (ne) se font surtout (pas) remarquer par leur présence diffuse ; les marqueurs temporels sont relatifs, au-delà de l’absence de téléphones portables ou encore des uniformes désuets de la gendarmerie normande. Les meilleurs gendarmes de France chemin passant : ils interviennent toujours dans la minute, et ce même au beau milieu de la nuit.

François se remémore son adolescence et adapte un roman qui l’a particulièrement marqué ; Ozon distille des images de ses autres films, ou en tous cas, des thématiques qui lui sont chères. L’ambiance de Sous le sable (2000), la relation prof-élève de Dans la maison (2012), le rapport à la mort de Frantz (2016). Les aficionados les plus frénétiques de l’œuvre du réalisateur apprécieront la référence explicite à sa Robe d’été, court-métrage tourné en 1996. Ozon filmait déjà un jeune couple homosexuel et un garçon forcé de porter une robe - pour des raisons bien plus prosaïques - presque identique à celle d’Été 85. 

Au-delà de ses deux acteurs principaux (Benjamin Voisin et Félix Lefebvre), le film brille surtout par l’utilisation de ses seconds rôles : les mères respectives des deux jeunes hommes, Valeria Bruni Tedeschi et Isabelle Nanty, rayonnent chacune dans leur manière de jouer très personnelle. Melvil Poupaud irradie d’ambiguïté lors de ses quelques minutes de présence à l’écran.


Une ambiance estivale derrière une narration alarmiste 

Balnéaire, Été 85 est centré sur la relation naissante entre Alexis et David, jeunes adultes incertains. On peut éluder une trop rapide comparaison avec Call Me By Your Name (Luca Guadagnino, 2017) qui imprègne encore les esprits. Certes, les deux films se déroulent tous deux lors d’un été charnière dans la vie de leurs protagonistes. Qui plus est, sur un lieu de villégiature mais loin du regard de parents qui font semblant de suivre tout en restant dépassés. Une jeune fille - qui n’est ici pas Esther Garrel, c’est regrettable - interfère en périphérie du jeune couple. La comparaison s’arrête à l’ambiance, Été 85 tient du coming of age movie, genre très étasunien au demeurant, que François Ozon n’avait pas encore exploré. L’homosexualité n’est pas au cœur du film. Naturelle, c’est sur la relation elle-même et ses conséquences dans la construction d’Alexis que le film est centré. L’histoire est narrée a posteriori par le jeune homme, situant la problématique ailleurs. Le film pose la question de la perception lorsque les sentiments sont impliqués : comment est-ce que l’on raconte une histoire lorsqu’on est le seul témoin ? 

« On invente ceux qu'on aime » 

La narration non-linéaire permet une certaine réflexivité. Alexis est chargé par la psychologue du tribunal d’écrire son histoire, encouragé par son professeur de français (Melvil Poupaud) convaincu des talents littéraires du jeune homme. Ozon cinéaste et son jeune double écrivain s’interrogent : est-ce que dans une relation, on n’inventerait pas toujours ceux qu’on aime ? Si les personnages semblent pencher pour une réponse positive, la question demeure en suspens, déviant vite vers les implications du pacte qui lie les deux personnages principaux. 

David fait jurer à Alexis de danser sur sa tombe après sa mort. Ce pacte donnait son titre au livre original (Dance on my grave ou La Danse du coucou en français) mais effraye Alexis. Ce dernier n’y consent que de mauvaise grâce puisqu’il révèle surtout l’attrait de David pour la mort. Les étapes qui mènent Alexis au tribunal sont nombreuses ; à l’entendre, la rencontre des deux garçons était déjà tragique. Kate, une anglaise échouée sur les plages normandes, sera la raison de leur dispute finale et le pivot du film. Alexis ne reproche pas à David de l’avoir séduite mais de l’avoir fait en sa présence, le mettant ouvertement de côté dans une séquence où le malaise filmé par Ozon sonne juste.


En dehors de ses moments de vie et instants passionnels, Été 85 demeure ambivalent, souffrant en quelque sorte d’un découpage « à la Ozon ». Sa narration imbriquée permet au réalisateur de maintenir une tension somme toute assez artificielle, puisqu’Alexis raconte l’histoire en restant maître du rythme. Il avertit en permanence le spectateur que le pire reste à venir ; dès l’ouverture du film, il confronte le public dans une promesse vaguement fétichiste. Selon lui, le spectateur qui n’est pas prêt à être témoin de l’histoire d’un « cadavre debout » devrait passer son chemin. Le vrai film ne situe sans doute pas à cet endroit, mais est moins spectaculaire qu’un accident de moto sans casque.

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